11/01/2013

Quand l'idiot n'est pas celui que l'on croit



18 mai 1980 : obscure soirée à Macclesfield, dans la banlieue mancunienne. Ian Curtis, seul chez lui, sort un de ses disques favoris de sa bibliothèque : The Idiot, d'Iggy Pop. Le vinyle tourne, le diamant crépite, et déjà la face A arrive, trop vite, à sa fin. Ian retourne la galette, et, rapidement, le diamant parcourt les microsillons du dernier titre, Mass Production, dont les textes soutiennent que personne n'est réellement irremplaçable. Peut être incapable de supporter cette sinistre pensée plus longtemps, Ian Curtis se dirige dans la cuisine, tire la corde qui s'y trouve pour normalement suspendre le linge et la noue à son cou. Ce sera son dernier geste.

3 ans et 2 mois auparavant avant que Ian Curtis ne tombe, Iggy Pop venait de finir de se relever. Après la drogue, la vie de sans-abri, des performances scéniques où l'Iguane se mutilait et un an d'hôpital psychiatrique, Iggy Pop est de retour. Récupéré par un Bowie en pleine bourre qui l'emmène enregistrer à Berlin, le prophète du punk fait un génial come-back avec The Idiot, qui n'est autre que surnom donné à l'Iggy du passé. 

En parlant du passé, le chanteur de Detroit s'éloigne justement sur cet album du style développé avec les Stooges pour, diront les mauvaises langues, servir de coup d'essai à la période berlinoise de Bowie : grooves industriels, atmosphère pesante emprunte de nostalgie,  expérience omniprésente... tout y passe ou presque. Bowie n'hésitera d'ailleurs pas à reprendre Sister Midnight ou China Girl (avec le succès qu'on lui connaît) dans des versions réarrangées, plus propres, plus grand public. 

Si The Idiot offre une renaissance à l'Iguane, l'album est loin d'être ouvert à toutes les oreilles. Les 38 minutes du disque ne sont qu'une longue liste de désillusions, noircies par une production minimaliste, où la qualité des pistes enregistrées tient plus de la démo underground que d'un mixage hollywoodien. Et pourtant, le charme opère, et on se retrouve pris dans les tourmentes du pitre Iggy, enivrées par une atmosphère de plus en plus oppressante, entrecoupée par l'expression du spleen d'un chanteur d'apparence insensible.

China Girl raconte l'histoire d'amour non-partagé entre Kuelan Nguyen, petite amie de l'époque de Jacques Higelin, et d'Iggy Pop himself, qui a écrit cette chanson après lui avoir déclaré, en vain, et malgré la barrière de la langue, sa flamme. La seule réponse de la jeune vietnamienne, susurré avec l'index posé sur les lèvres de l'Américain, aurait été un simple "chut" qui inspira les derniers vers du morceau.

"And when I get excited
My little Chinan Girl says
Oh Baby just you shut your mouth
She says SShhh"

Le morceau suivant, Dum Dum Boys, est peut être le titre le plus impressionnant du disque. Sept minutes lentes mais terriblement prenantes, qu'Iggy dédie aux Stooges, citant leurs noms un par un au début du morceau, qu'ils soient vivants ou non (Zeke Zettner). La voix d'Iggy est de plus en plus plaintive, prenante, édifiante, et on ne ressort pas de ce groove répétitif, lancinant fabuleux.

"Now I'm looking for the Dum Dum Boys
Where are you now when I need your noise ?"

Enfin, pour que la boucle soit bouclée, comment ne pas parler de Mass Production, terrifiant titre où les synthés enivrent autant que dégoûtent, où les propos d'Iggy sont aussi puissant qu'inaudibles. Le sentiment dégagé par ce titre est des plus étranges : loin de tout glamour, Mass Production nous emporte dans une chaîne de production sans fin et délivre son terrible message : nous nous ressemblons tous et aucun de nous n'est réellement indispensable. Contrairement à The Idiot.

"Before you go
Do me a favour
Give me the number
Of a girl almost like you"

S.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire